C’était mon premier long séjour à Rome. Je veux dire où j’ai pris le temps de la respirer.
Pourtant, depuis toujours, j’use de la religion chrétienne, de la réutilisation des scènes religieuses et de l’imagerie du Christ dans mon travail. Et donc, ne pas être (encore) aller à Rome, à la source en quelque sorte, était un peu étonnant et en même temps, ça décuplait l’envie.
Quand Stéfano, l’adorable concierge de l’Academia a ouvert la porte de ma chambre, j’ai su dans la seconde que j’y reviendrais. Je n’étais pas encore entré que je voulais déjà y revenir.
Un rayon de lumière traversait la pièce, de la fenêtre jusqu’au lit. Une lumière de fin d’hiver qui glisse sur tout et ne me quittera plus.
A l’Academia, dans ma chambre, depuis mon bureau (grand, robuste, art déco), à la lumière du jour ou de ma petite lampe (lourde, stable, métallique), j’ai dessiné avec mon bic à quatre couleurs sur toutes sortes de papiers, de l’aube à la nuit, chaque jour. Espace ouvert où rien n’est imposé, tout est choisi. Dans une posture pour tout accueuillir, comme une très longue méditation où j’étais bien comme dans le ventre de ma mère. Dans l’indispensable confort du temps que l’on prend. Dégagé de toutes les pollutions. Juste les voix de France Culture sur Pasolini et Fernando Nannetti.
Et puis mes visites “entrées libres” à Le Carravage dans les églises, les traversées quotidiennes du parc de la villa Borghèse. Mes arrêts sur la puissante piazza del Popolo et les longues percées d’un bout à l’autre de la ville où j’aime me perdre. Marcher, marcher, marcher, à la lumiere des beautés.
Aussi, j’y ai retrouvé les petites drogueries comme celle que ma mère tenait, là où on vend de tout, des mouchoirs en tissus, des gaines couleur chair, des tabliers de ménagères, des assiettes en étain et de la poudre à lessiver. Des bonbons sur le comptoir.
Le passé, tous les passés de Rome sont présents.
Le Salvini aussi.
Et ce texte en écho, d’Antonio Gramsci, cueilli au musée d’art contemporain:
“Il vecchio mondo sta morendo. Quello nuovo tarda a comparire. E in questo chiaroscuro nascono i mostri.”
Le vieux monde est en train de mourir. Le nouveau est lent à apparaître. Et dans ce clair obscur naissent les monstres.
Romamor.
Une expo à parcourir comme une "via dolorosa", quand un artiste réalise tous les jours pendant un an le même tableau (et qq variations) d'après un vieux film de famille noir et blanc. Le frère disparu et leur grand-père traversent l'espace en diagonale. Gamin alors, le frère qui est parti trop tôt serre la pogne de l'aîné... J'ai parcouru à la galerie Yoko Uhoda un stupéfiant travail sur la mémoire où les rythmes de couleurs, le trait incisif ou doux, la rage, l'acceptation, le déni, l'amour du père et du frère, tanguent en 365 versions d'une petite course main dans la main sur un chemin de village pour rentrer à la maison, peut-être. Qui protège qui dans ce pas où chacun relance l'autre ? Chaque plan séquence de Vincent Solheid est un récit en soi, un questionnement sur la joie, la vie, la mort, référence ancrée dans le corpus de l'artiste aux stations qui ont balisé l'ascension au Golgotha. Dans le sobre mais beau livre d'artiste (éd. Tetras Lyre) qui épaule l'exposition, des témoignages anonymes sur la perte d'un proche ponctuent cette immense fresque, perçue comme une offrande rédemptrice et immémoriale sertie comme un joyau en une explosion de couleurs qui laissent transpercer les sentiments au scalpel de Vincent Solheid. A voir, pour apprendre à survivre.
Dominique Legrand.
An exhibition viewed as a “Via Dolorosa”, when an artist produces the same painting every day for one year (with a few variations) drawing inspiration from an old black and white family film. The missing brother and their grandfather are walking diagonally through the space. A kid at the time, the brother who left too early squeezes the hand of the elder...
At the Yoko Uhoda gallery, I have seen an amazing memory work, where the rhythms of colour, the incisive or soft line, the rage, the acceptance, the denial, the love of the father and the brother thunder in 365 versions of a small running, hand in hand, on a village road to get home, perhaps. Who is protecting whom in this footstep where each one revives the other? Every one of Vincent Solheid’s shot sequences is a story in itself, a questioning on joy, life and death, and reference anchored in the artist’s corpus to the Stations of the Cross that marked the ascent to Golgotha.
In both the sober and beautiful artist’s book (Tetras Lyre editions), which accompanies the exhibition, anonymous testimonies on the loss of a loved one punctuate this immense fresco viewed as a redemptive and immemorial offering, set like a jewel in an explosion of colours that allow Vincent Solheid’s feelings to be pierced with a scalpel. A must see in order to learn how to survive.
Dominique Legrand.
Bavant sa vinasse carnavalesque sous une lune rousse, le Char Maudit nargue les artistes sacrés, les Vandercam et Alechinsky. Cette rupture est une charge salvatrice au sein du classicisme du Musée d’Ixelles. Bras en croix, l’artiste belge Vincent Solheid tournoie au centre de l’espace : il y dispense des Confessions publiques dans une exposition carte blanche. Invité par Jean-Luc Moerman dans l’exposition Pop-Up en 2012, Vincent Solheid a remporté le prix du public et cette expo solo. « Je raconte une histoire. J’ouvre de nouvelles portes, lance Solheid. La confession de ses péchés à un prêtre est une démarche intime. En la rendant publique, je lève l’ordre du secret ». Et des secrets, il en court sur les flancs de la vallée qui sépare Malmédy de Stavelot. Solheid plante son récit : témoignages écrits, cavalcades de petits soldats, hosties ensanglantées, reliques remasterisées en Transformers nous emportent en des temps lointains. « Je pose la question de l’existence d’un personnage historique, un religieux festif qui aurait été l’instigateur d’une procession commune en 1759, l’unique carnaval réunifiant la principauté de Stavelot-Malmédy ». Sacrilège ! Le char relique, le char orgiaque jouent sur le symbole de la dualité des choses, du profane et du religieux. Confessionnal ou vomitoire, déplacement de sens, réappropriation d’objets et détournements provocateurs sont le menu quotidien de l’auteur du Grand’Tour, un film qui joue aussi sur les excès et leurs contraires. Cette poétique de l’égnime est la signature de Vincent Solheid qui ne s’identifie à aucun registre du commerce de l’art : son travail est un jeu de miroirs vertigineux où la question du sens à suivre, à contourner, à déchiffrer, est omniprésente.
Brouillons divins
Voici les dernières représentations au monde des "Ratés de Dieu", comme ricanaient les hérétiques, aux XIè et XIIè siècle. Elles figuraient le Christ et la Vierge Marie tels qu'il auraient été si le créateur n'avait pas recommencé sa fabrication du monde, de l'Homme et de la femme. En effet, dans un premier temps, qu'on estime à quinze jours, Dieu créa l'Univers, Adam et Eve, etc., mais avec des résultats peu probants : une erreur dans ses calculs avait abouti à une terre triangulaire et en partie incandescente, des animaux à six pattes et trois ailes, des arbres racines à l'air et le premier couple humain avec des membres monstrueux. Le Tout-Puissant conscient de son échec, revit toute sa copie, l'effaça entièrement, recalcula et recommença pour créer, en sept jours cette fois, tout ce que l'on sait. Mais dès le IVè siècle après J-C., des informations circulèrent sur son premier essai malheureux et elles prirent un réel retentissement au haut Moyen-Âge, au poijt que des artistes imaginèrent ce à quoi auraient ressemblé Jésus et Marie, si Dieu n'avait pas été capable d'améliorer sa prestation. L'Eglise tenta toujours d'étouffer ce couac et en traqua toute référence. L'apogée de sa chasse, frénétique et efficace, se situe sous l'inquisition. Les seules pièces rescapées connues à ce jour sont celles présentées ici.
Thierry Fiorilli dans "Wunderkammer", catalogue exposition au Botanique à Bruxelles et à l'Academia Belgica de Rome.
"Mirage esthétique, projection de fantasmes, énigme visuelle, tout concourt à placer Vincent Solheid dans un registre puissant qui interroge la place de l’homme dans l’univers". (D.L)
"Aesthetic mirage, projection of fantasies, visual enigma, everything conspires to place Vincent Solheid in a powerful register which questions man’s place in the universe". (D. L)
L’esthétique de Vincent Solheid relève de l’homme paysage, tant les métamorphoses qu’il propose associent des souvenirs et des rituels propres à l’enfance. L’œil repère ce qui terrorise, fascine, enchante. Extravagant dans la multitude de sources et d’énigmes qu’il nous livre, le plasticien tient la route, celle d’une recomposition du monde. (D.M)
Le corps du Christ, hostie, fil chirurgical, faux sang, diam.7 cm, 2011, Collection privée
The aesthetic of Vincent Solheid comes from this landscape man,
the metamorphoses he presents associate the memories and rituals from his childhood to such an extent that the eye is able to identify what terrorises, fascinates, enchants. Extravagant in the numerous sources and enigmas that he delivers, the visual artist charts his route, that of
a reconstitution of the world. (D.M)
The body of Christ, host, suture thread, fake blood,, 7 cm dia., Private collection
La passion, les 14 stations du chemin de croix, acrylique sur photogravure avec encadrement mouluré doré du 19e siècle,14 x 20 x 30 cm,2009, Collection privée.
Il a été tiré de cette œuvre 10 exemplaires sur papier vélin 300gr avec rehauts d’acrylique, 2010
La passion, les 14 stations du chemin de croix (The Passion, the 14 stations of the cross), acrylic on photoengraving with 19th century moulded gilt frame, 14 x 20 x 30 cm, 2009, Private collection. Ten copies of this work have been made on 300 g vellum paper, enhanced with acrylic, 2010
Extrait de la série ‘Tagueule !’,
50 autoportraits à l’encre de chine noire sur papier velin 300gr, 15 x 21cm, 2006
"De l’icône monumentale au portrait intimiste ou le survêtement de Bela Lugosi
Le muraliste communicateur, souvent rassembleur et coloriste amoureux, l’artiste Vincent Solheid propose une cinquantaine d’autoportraits à l’encre de chine rehaussés de crayon ou inversement. (Ce crayon vecteur du trait et architecte du dessin ébauché n’a plus la cote, et pourtant, sans résistance, revient toujours).
Le projet décomplexé intitulé ‘Tagueule !’ tourne donc forcément autour du nombril mental du portraitiste avec le souci de rendre le spectateur (acteur vivant) plus proche encore de l’univers du présentateur (artiste multifonctionnel). Vincent Solheid partage, mais reste le chef d’orchestre de sa vie. Présentés au Comptoir, les portraits en noir et blanc, d’un hyperréalisme caricatural sont autant d’exercices de thérapie. Ils donnent souvent froid dans le dos mais gardent la nécessaire dose d’humour noir. Bela Lugosi n’a qu’à bien se tenir.
Vincent dépose des virgules et se permet
de belles volutes, des symboles mutants et psychédéliques sur son visage. Le dess(e)in devient abstrait et diabolique nous rappelant avec beaucoup de modestie les traits légers dominant le corps de Björk version vespertine et le marqueur-maquillage de Camille rencontrant Stéphane Mandelbaum au coin d’un bar. La gravure n’est jamais loin.
La pointe sèche mentale devrait être un jour au rendez-vous. Mais trempée dans un bain acide aux confettis, pour nous rappeler les belles sarabandes de fin de soirée".
Damien Breucker dans "Vincent Solheid au comptoir du livre"
Selection from the ‘Tagueule!’ (Shut up!) series. 50 self-portraits in Indian ink on 300 g vellum paper 15 x 21 cm, 2006
"From the monumental icon to the intimate portrait or Bela Lugosi’s tracksuit
The communicator muralist, often the rallier and loving colourist, the artist Vincent Solheid offers some fifty self-portraits in Indian ink enhanced with pencil, or the other way around (the pencil, the medium for lines and the architect of drawings is no longer popular, and yet, effortlessly, always comes back).
The forthright project entitled ‘‘Tagueule!’’ therefore revolves inevitably around the portrait artist’s mental core with the aim of bringing
the spectator (a living participant) closer still
to the world of the presenter (the multimedia artist). Vincent Solheid shares, but remains the orchestrator of his life.
Exhibited at the Comptoir, the black and
white portraits, with their hyperrealism akin
to caricature, are therapeutic exercises.
They are often chilling, but conserve the required dose of black humour. Bela Lugosi had better watch out.
Vincent places commas and takes liberties with beautiful curls, mutant and psychedelic symbols, on his face. The design-drawing becomes abstract and diabolic, humbly calling to mind the light lines covering Björk’s Vespertine body and Camille’s pen make-up meeting Stéphane Mandelbaum at some bar. Engraving is never far away. Mental dry-point should one day be celebrated, but soaked
in a confetti acid bath to remind us of those beautiful end-of-evening sarabandes".
Damien Breucker in "vincent Solheid at Comptoir du livre"
"Angles morts", exposition du 8 octobre au 14 novembre, galeire Nardone, Bruxelles.